Faire un Feedback

Pour faire un feedback efficace qui fera faire des progrès, il faut qu’il soit court, qu’il consolide, qu’il cible et qu’il s’énonce de manière affirmative.

Personne ne s’accorde sur la manière de faire un retour après un spectacle ou auprès d’une personne. En improvisation, le thème du « Retour » est le sujet le plus polémique qui soit.

Certains vont prétendre qu’un bon feedback est un feedback franc, honnête, détaillé, qui se fait sans taboo. D’autres contrediront en affirmant qu’un feedback ne doit pas « casser  » ou « déstabiliser », il doit donc ménager et mettre en confiance. Bref, entre les Bisounours et les Ayatollah de l’exigence de qualité, on s’y perd.

Pour bâtir notre argumentaire, nous allons nous inspirer d’un FORMIDABLE livre (en anglais mais rapide à lire, et que l’on peut parcourir en picorant): « Directing Improv » de Asaf Ronen.

Pour construire un  feedback efficace, il faut d’abord se demander quel objectif on veut atteindre.

Si c’est dire la vérité parce que vous êtes franc, honnête et courageux, alors précipitez vous dans les manifestations qui œuvrent pour la défense des droits de l’homme. Elles ont besoin de combattants (je le dis on ne peut plus sérieusement). Je ne vois pas l’intérêt de montrer votre incommensurable franchise dans le cadre d’un feedback….Surtout pour ponctuer celui-ci de la petite phrase récurrente: « Ne prends pas mal ce que je dis ». Vous n’avez pas la maîtrise de la façon dont votre feedback est perçu. Une fois qu’il est jeté , il ne vous appartient plus.

Si c’est de donner du réconfort, je ne peux que vous encourager. Ça ne fera pas progresser mais ça remontera le moral.

Si c’est pour aider la personne ou la troupe à trouver des solutions et évoluer, alors il y a quatre choses à savoir:

  • Un bon feedback est court (pas plus de dix minutes).
  • Un bon feedback consolide
  • Un bon feedback est ciblé
  • Un bon feedback s’énonce de manière affirmative

Maintenant , détaillons:

Un bon Feedback est court (pas plus de dix minutes).
Sachez qu’on ne peut retenir l’attention d’un groupe que quelques minutes. Le faire trop durer atténuera la portée de votre retour.
De plus, inonder d’un retour très détaillé va soit accabler soit fermer l’écoute de vos interlocuteurs.
Il faut qu’à l’issue de votre feedback, vos interlocuteurs aient retenu maximum trois choses essentielles.

Un bon Feedback consolide
Éclairez le joueurs ou la troupe sur les acquis et les progrès déjà en place. Cette base sert de tremplin, et favorise une meilleure prise en compte de votre éclairage.

Un bon feedback est ciblé
Ayez en tête un ou deux points que vous souhaitez voir corrigés. Pas plus. La progression se fait pas à pas. Pour que l’objectif soit réalisable , il faut qu’il soit atteignable. Ces points doivent faire l’objet de pistes de travail sur les prochains stages ou ateliers.

Un bon feedback s’énonce de manière affirmative
Lorsqu’on énonce une recommandation avec une négation, le cerveau active la zone de la censure et éteint la zone de la créativité (cf article l’impro et le cerveau sur ce blog). De plus, ce satané inconscient qui nous joue si souvent des tours, va retenir l’interdit et être irrémédiablement attiré par lui.

Je donne deux exemples criants:
– Marchez sur une poutre, essayez de tenir l’équilibre en vous répétant sans arrêt « Ne tombe pas! NE TOMBE PAS ! NE TOMBE SURTOUT PAS! » …. Je ne vous donne pas dix secondes avant de vous casser la figure.
– Il n’y a pas si longtemps, lors d’une scène improvisée, mon partenaire (ou plutôt son personnage…), me demande mon code de carte bleu. Moi je pense « Ne donne pas ton vrai code! Ne donne pas ton vrai code! NE DONNE PAS TON VRAI CODE! ». Du coup…. j’ai donné mon vrai code! Ce que mon gentil partenaire (et non son personnage) n’a pas hésité à pointer devant une salle remplie de spectateurs. J’étais bonne pour appeler ma banque le lendemain.

Ainsi, pour sortir quelqu’un d’un travers, donnez lui une piste qui va l’emmener ailleurs:

Si vous avez affaire à un improvisateur qui se réfugie souvent dans la vulgarité et que vous lui dites:  « Arrête d’être vulgaire! Ne dis pas de gros mots! », la réaction en chaîne sera censure – éteinte de créativité – peur – et revulgarité car peur.
Mieux vaut lui dire : « Je pense que maintenant tu peux tenter d’explorer d’autres styles de narration. Commence par explorer les contes médiévaux ou pour enfant sur les prochains ateliers.  »
On peut aussi lui donner un mantra ou un animal totem qui saura l’inspirer.

Asaf Ronen fait faire l’exercice suivant: les débutants ont l’habitude de sans cesse faire des petits pas sur scène. Plutôt que de dire « Arrête de bouger! », lors d’un atelier: il dispose des plots dans la salle , et la scène doit se jouer en se déplaçant d’un plot à un autre. Les déplacements se trouvent d’eux même canalisés. Après avoir fait l’exercice plusieurs fois, fini les petits mouvements parasites.

En fait, en improvisation, on en revient toujours à la même chose:
qu’on parle de jeu sur scène ou de formation , l’objectif à atteindre est de libérer la créativité de ses partenaires ,quitte à employer des moyens plus ou moins honnêtes …

 

 


2 Comments

  • Hugh

    16 octobre 2015

    Ah ça faisait longtemps tiens, ça fait plaisir de revoir un post dans le coin 😉

    Je ferais quand même la distinction entre le feedback après une impro dans un atelier et le feedback d’un spectacle complet. Dans le cadre d’un atelier où l’on est en train de travailler une thématique particulière, le plus important pour moi est que les retours soient ciblés sur la thématique que l’on travaille, avec éventuellement un ou deux petits ajouts s’il y a des trucs vraiment flagrants. Du coup il est ciblé, il consolide ce qui est travaillé dans l’atelier et qui a été vu dans les exercices ou impros précédentes, et reste court (puisque ciblé…).

    Dans le cadre d’un feedback post-spectacle c’est un peu différent, puisqu’on n’a pas forcément défini avant un axe de travail pour ce spectacle (un axe général ou des axes spécifiques à chaque comédien). Du coup le ciblage est moins évident. Idéalement on devrait pouvoir se fixer des objectifs généraux et particuliers avant spectacle et ensuite faire des retours sur ceux-ci, ce serait pour moi la façon la plus efficace d’avancer. Mais c’est loin d’être évident. Il faut que quelqu’un ayant un rôle de coach assigne ces objectifs (ou que les comédiens se les assignent et en informent le coach), et ce coach soit extérieur au spectacle et prenne des notes. Pour ma part la plupart du temps si je vais à un spectacle d’une troupe où je suis intervenant c’est en général pour animer le spectacle, j’en fais donc autant partie que les comédiens, donc je suis autant concerné par le feedback… Du coup c’est pas pratique !

    Voilà voilà… Bisous !

    Par exemple à l’iO Theater à Chicago ils font ça plutôt bien. Les équipes de Harold ont un coach (qui est un des profs de l’iO normalement) qui donne des objectifs avant spectacle et un feedback après. Et ce coach reste généralement dans le box de la régie, ou bien dans la salle.

    Ah et un dernier truc auquel je pense (fichtre mes réponse à des articles sont aussi longues que mes articles eux-mêmes…) : tu ne parles pas ici de retours positifs, il n’y a que les retours sur les problèmes ou points d’amélioration qui sont évoqués. Je dirais que c’est aussi un point très important pour moi : ne pas oublier de dire ce qui a marché dans une impro !

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  • Elaine

    16 octobre 2015

    Merci Hugh pour ton éclairage! Ce que tu dis sur l’IO theater est très intéressant.
    Je suis complètement d’accord sur les retours positifs. C’est un petit peu ce que je voulais dire dans la partie qui doit consolider.
    Pour les spectacles,
    – On peut les voir comme une finalité :on travaille en atelier pour atteindre un objectif en spectacle….( Alors j’avoue ici avoir une petite hésitation, car la notion de performance est présente et elle est risquée…)
    -Mais on peut aussi les voir comme un outil pour dégager et cibler une ou deux pistes de travail pour les futurs ateliers.
    Du coup le feedback-post-spectacle ne ressemble plus à une sentence, mais une ouverture.

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