En impro, « Écoute !  » n’aide pas à jouer

Après la « règle » du « Oui et … » , « Écoute ! » est la deuxième règle qu’on enseigne en improvisation. Ou vice versa. En tout cas on les apprend très tôt et à haute dose. Cette recommandation ne m’a jamais convenue. J’ai toujours eu l’impression qu’en l’adoptant, je me mettais des bâtons dans les roues. Sans savoir pourquoi, je me suis tenue à l’écart de ce mot d’ordre. J’ai trouvé d’autres solutions. Mais aujourd’hui, j’arrive à cerner ce qui me dérangeait dans ce précepte.

En reprenant la première définition du petit Robert:

Écouter , v.tr. : S’appliquer à entendre, prêter son attention à

Or, selon les travaux de S Dehaene, de l’Académie des sciences [1], l’attention contrôle la voie d’accès à la conscience. Ainsi, le fait d’écouter opère déjà une sélection des informations qui parviennent à la toute petite scène éclairée de notre conscience [2] . De plus, elle induit un processus mental beaucoup plus lent :

« Notre cerveau abrite deux grande catégories de processus : les processeurs inconscients, infatigables calculateurs prodiges de la statistique, et le traitement conscient, qui fonctionne sur la base d’un lent échantillonnage ». [1]

Ainsi, en focalisant notre attention sur certaines informations, on passe forcément à côté de milliers d’autres.

Pas étonnant qu’on assiste aux dialogues de sourds entre improvisateurs après spectacle « Mais écoute quand tu joues ! J’avais dit ou fait ça … Tu n’as pas écouté » et l’autre de répondre « Mais si j’écoute ». Or la volonté d’écouter était bien là, mais les informations qui se sont frayées un chemin jusqu’à l’éclairage de la conscience, n’étaient pas les mêmes. Ainsi , on peut déjà progresser sur un point : cesser de se blâmer mutuellement sur le manque d’écoute.

Rester aux franges de la conscience

Entre le conscient et l’inconscient, il y a le stade pré-conscient. Et qui va jouer sur ce terrain ? Notre intuition. En effet, toujours selon Dehaene, si la conscience requiert l’attention, l’inverse n’est pas vrai. Nous pouvons faire attention à un stimulus sans pour autant en être conscient.

Je garde en souvenir le reportage sur les bleus de 98 où lors du quart de finale, au moment de la séance de tirs au but, l’assistant coach qui avait étudié de prêt toutes les statistiques des joueurs italiens, s’approche de Barthez pour lui faire part de ses analyses. Celui ci le balaye du revers de la main et en commentaire dit, en pointant son nez, que dans ces moments là, il n’y a que ce que tu sens qui compte. Barthez avait compris que son intuition lui permettrait de capter beaucoup plus d’informations et plus rapidement, qu’une analyse cartésienne. Et il a eu bien raison.

Les processus inconscients sont excellents dans le traitement simultané de très nombreuses informations. Il peuvent prendre en compte plusieurs paramètres et aboutir à une décision rapide. De nombreuses expériences suggèrent donc qu’il vaut mieux laisser certains problèmes aux franges de la conscience plutôt que de les décortiquer point par point.

Quelles solutions alors s’offrent à nous ?

Concrètement, du coup, quelles solutions avons nous ? A quel précepte pouvons nous avoir recours?

Je dirais que dans un premier temps, il faut mettre sur le banc de touche la notion de précepte ou de règle, car elle active la volonté, l’intention  (donc l’attention) qui réduisent le champ de perception. Je parlerais donc plutôt d’ « Etat ». Dans quel « Etat » dois je être pour jouer ?

Personnellement je parle d’ « Etat Buvard », perméable et disponible à toute ce qui se passe. Un état malléable, qui se modifie au gré des occurrences. Beaucoup d’entre nous parlent de connexion et d’impulsion, et dans ces termes j’ai trouvé mes solutions.

La méthode d’Acting de Sanford Meisner est assez efficace pour aller dans ce sens. Elle consiste à se laisser transformer au gré des impulsions en désactivant toute volonté de « Bien jouer ». Pour cela, je reprendrai les mots de Larry Silverberg, Professeur de « The Sanford Meisner Approach »:

« The great News is that when our attention is not on being emotional, our emotions suddenly become much more available »[3]

Ainsi, pour jouer l’émotion, mieux vaut ne pas avoir l’intention de le faire. Idem pour l’écoute : si notre volonté est d’intégrer le plus d’impulsions possibles, mieux vaut ne pas avoir la volonté d’écouter, mais juste de se mettre dans un état disponible à tout ce qui arrive.

Sources:

[1] Le code de la conscience – Stanislas Dehaene

[2] Neuroleadership – James Teboul & Philippe Damier

[3] The Sanford Meisner Approach – Larry Silverberg

 


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